De l’Atlas de Jules Verne à l’atlas de Cyrille Coutansais.

Grand Prix Jules Verne 2017 décerné par l’Académie littéraire de Bretagne :

L’Empire des mers, Musée de la Marine/CNRS.

coutansais

Un atlas c’est ce que découvrent les colons de l’Ile mystérieuse dans le coffre que le capitaine Nemo leur a providentiellement jeté sur une plage. Parmi les instruments qui sont joints se trouve un sextant. Voilà qui permet à Cyrus Smith d’affiner le gisement de l’île Lincoln qu’il avait établi avec une belle approximation dans le chapitre XIV de la Première partie. Toutefois lorsque l’ingénieur est certain des coordonnées de l’île, longitude sud 150° 30’, latitude ouest 34° 57’, nous sommes page 300 ; mais le lecteur attentif les connaît déjà grâce à l’indiscrétion d’une imposition qui a glissé au mépris de tout suspens, une carte page 201, avec les dites coordonnées, carte dont l’original a été dessiné par le romancier qui aimait cet exercice.

ile mystérieuse

Elle ne se trouve pas sur l’atlas du coffre, mais l’île Tabor y figure elle. Elle est aussi fantastique et imaginaire que ces autres que nous trouvons dans d’autres récits : elle a tout de la tête d’un dragon, alors que l’île Chaiman a la forme d’un papillon, et la Nouvelle-Suisse offre le découpage d’une feuille. Il est d’ailleurs amusant d’apprendre que Verne a dû en échancrer le 24 mai 1901 la partie sud pour placer une baie des Tortues accessible en moins de temps qu’il ne le prévoyait sur la carte originale, coûteuse en marche, ce qui entrait en contradiction avec le texte.

Il faudrait aussi mentionner l’île en forme de X, qui sert d’escale à l’Albatros de Robur. Tant qu’à feuilleter l’atlas imaginaire de Verne, rappelons qu’il eut des prédécesseurs dont Gianni Guadalupi et Alberto Manguel ont dressé la liste dans leur Guide de Nulle Part et d’Ailleurs, et qu’il eut un sympathique successeur, Fred, le dessinateur de bande dessinée, qui a confié à son héros Philémon la découverte des lettres de l’Océan atlantique qui figurent bel et bien sur tous les atlas.

fred T atlantique

 

N’oublions pas que Verne fait partie de ceux qui initient les français à la géographie parfois sur le mode ludique. Il devait appartenir au nombre de ceux qui appréciaient alors les cartes muettes des îles proposées aux lecteur dans les magazines illustrés, qui avait une semaine pour exercer leur perspicacité. N’a-t-il pas disposé les différents états des États-Unis en spirale pour pouvoir imaginer un gigantesque jeu de l’oie proposé par un excentrique milliardaire ?

Testament excentrique

 

La carte des États-Unis lui offrait d’ailleurs des particularités pittoresques : ainsi de la Floride, théâtre d’une décharge mémorable, et province choyée par plusieurs intrigues. De son vivant, cette carte était du reste en pleine évolution : lorsqu’il traversa l’Atlantique au printemps 1867, le bateau pilote qui devait remorquer le Great-Eastern permit aux passagers, privés de nouvelles depuis l’Europe, de recevoir la presse new-yorkaise. On y annonçait le rattachement de l’Alaska aux États-Unis. L’événement était exceptionnel, et le romancier ne manqua pas plus tard de tirer de ce changement de souveraineté, un coup de théâtre pour César Cascabel.

Ce voyage fut le plus long qu’il ait accompli. Contrairement à une légende il ne fut pas l’homme casanier qui arpentait les boulevards d’Amiens, mais il fut toujours dans le même temps « l’enfant amoureux de cartes et d’estampes » de Baudelaire. Toute documentation géographique était à l’évidence un stimulus pour son inspiration.

Quand il commence les Voyages extraordinaires, il a à sa disposition, l’atlas de l’allemand Stieler, déjà ancien, les volumes de Malte-Brun, plus récents, et l’Atlas sphéroïdal et universel de géographie de F.-A. Garnier, paru en 1862 chez la Veuve Renouard. Ce goût de la précision lui permit de devenir un vulgarisateur proportionnellement mieux rémunéré que le romancier sous contrat avec Hetzel. Les volumes qui constituent la Découverte de la terre sont, en effet, une histoire des explorations qui n’en ont pas terminé avec la conquête complète du globe dont les pôles ne seront atteints qu’au début du XXe siècle, elles remplissent en tout cas, surtout au XIXe siècle, les espaces blancs des terrae incognitae, elles font naître de nouvelles cartes.

Quant à la Géographie illustrée de la France, elle décline chaque département avec ses caractéristiques physiques, économiques, parfois historiques. Elle est encore d’une lecture enrichissante même si elle ne fait pas oublier le panache des grands chefs-d’œuvre verniens.

Elle est un peu l’ancêtre de votre ouvrage, même si elle est limitée à notre territoire national.

Le Grand Prix Jules Verne récompense rarement un géographe , alors que grand a été l’intérêt de l’écrivain nantais pour cette discipline. Aussi vous êtes particulièrement bienvenu dans un palmarès où l’on relève les noms de Théodore Monod, Jacques Lacarrière, Jean Malaurie ou Sylvie Brunel.

Directeur de recherches du Centre d’études stratégiques de la Marine, Cyrille Coutansais,  vous avez publié en 2012, une Géopolitique des Océans, l’année suivante, vous faisiez paraître l’Atlas des empires maritimes, et plus récemment vous avez dirigé La Terre est bleue. Atlas de la mer au XXIe siècle, où l’accent mis sur les câbles sous-marins qui quadrillent désormais la planète aurait enchanté Verne, car il suivait l’actualité technologique, et il se faisait l’écho des progrès enregistrées de son temps par l’extension des liaisons atlantiques ou méditerranéennes (ainsi pouvait-il, avoir des nouvelles de son frère Paul, officier de marine qui convoyait des troupes en Crimée). Quant aux ressources futures que recèlent nos océans, Cyrus Smith en était convaincu dans les propos qu’il tient à ses compagnons.  Mais notre sélection a son calendrier et nous avons retenu l’Empire des mers, Atlas historique de la France maritime, publié par le Musée national de la Marine et le CNRS.

Votre livre suit une perspective historique qui lui permet de maîtriser une information surabondante et de démêler les mailles d’un filet très serré. Politique, économie, savoirs faire, tout est imbriqué, bien que leur interdépendance ne crée pas nécessairement une avancée uniforme ou irrésistible Tour en entrant dans le détail qui retient l’attention vous savez dégager les grandes lignes de cette histoire maritime qui vogue de Philippe Auguste à Charles de Gaulle. On comprend mieux grâce aux cartes qui ponctuent judicieusement votre propos combien la présence des Plantagenêts fut néfaste à l’accès aux côtes atlantiques devenues une opportunité avec le rattachement de la Bretagne à la couronne.

La détermination n’est pas toujours partagée, le roi a des ambitions mais son ministre prêche la prudence ainsi de Henri IV, et de Sully ; mais l’inverse se produit également, avec Louis XIII et Richelieu. Vous n’êtes pas tendre pour Louis XIV qui a fait perdre à la flotte française sa suprématie en s’entêtant à guerroyer contre les Hollandais. Mais vous reconnaissez volontiers que les départs massifs des réformés aux quatre coins de l’Europe a créé un marché inespéré abondé par les navires venus de France.

C’est d’ailleurs l’une de vos remarques constantes que de constater que les entreprises aux buts affichés ne les atteignent guère mais génèrent des progrès collatéraux appelés, eux, au succès. Ainsi de la Compagnie des Indes, peu lucrative, mais qui a , de la part de Colbert, permis d’élaborer un plan cohérent d’infrastructures portuaires ou de liaisons avec l’intérieur, gérée par une administration nouvelle, et animée par des cadres formés dans des écoles spécialisée. Prélude à une époque faste qui au XVIIIe vit la flotte française devenir la deuxième du monde. Mais pour vous il n’y eut que les époques de Richelieu, de Louis-Philippe et de Napoléon III, qui furent glorieuses au regard de l’histoire. Louis-Philippe et Napoléon III deux souverains dont les frères Verne furent les exacts contemporains.

La lecture de votre ouvrage réserve au lecteur peu versé dans le domaine que vous dominez de pittoresques renseignements : merci à l’abstinence imposée longtemps par l’Eglise, sans elle les morues n’auraient pas fait le voyages des bancs de Terre-Neuve aux Echelles du Levant (dont vous rappelez que c’étaient les escales du Levant) ; retournons à l’ouest, la canne à sucre vient de Palestine, s’installe à Chypre, fait étape aux Açores pour finir dans les Caraïbes, où nous avions l’impression qu’il s’agissait d’une domestication de plants naturels. Merci de m’avoir expliqué pourquoi le club de football association de Niort s’appelle étrangement les Chamois niortais, survivance d’une activité de tannerie fournie par La Rochelle. A propos du siège de cette dernière ; vous rappelez à juste titre qu’il était aussi destiné à mettre un terme à la flibuste des protestants.

Le pouvoir est souvent impuissant à faire respecter les traités, il ferme les yeux sur les audaces des explorateurs qui prétendent chercher toujours le passage vers la Chine en remontant le Saint-Laurent. Les indélicatesses, le trafic sont tolérés : pas de thé en quantité suffisante dans les Îles britanniques s’il n’y avait pas eu de contrebande ! Fouquet, qui fut arrêté à quatre pas d’ici, hérite d’un empire commercial de son père, il n’a pas constitué sa fortune sur rien. Il s’était engagé à armer trente navires pour convoyer des barils d’huile d’éclairage, mais il préféra sous-traiter avec des hollandais qui lui fournissaient un produit moins cher, qu’il vendait au prix fort comme s’il avait armé la totalité de la flotte prévue par son contrat, alors qu’il se contentait de quelques unités. Les choses ont-elles vraiment changé ?

Les armements, les achats de marchandises n’auraient jamais pu se faire si des financiers étrangers n’étaient intervenus à Marseille, Rouen, Saint-Malo. Autre temps, mêmes mœurs économiques.

En tout cas, votre propos se glisse avec élégance entre de multiples illustrations. Les cartes guident le lecteur à chaque instant. Elles vont jusqu’à réveiller ses souvenirs littéraires. Ainsi la carte de la page 128 rappelle la reconquête des Iles Lérins au détriment des Espagnols en mai 1637 (le 15 mai exactement), or un poète baroque participait à cette expédition sur le navire amiral et commença son œuvre en mer. De qui s’agit-il ? de Saint-Amant, auteur du Passage de Gilbraltar, qui croisa au large du détroit le 17 juillet 1636.

La consultation des pages 180 et 188 montre qu’il n’y avait qu’un « idiot utile » pour déclarer pendant dix ans que le Canada ne représentait que « quelques arpents de neige ».

Il va sans dire que les illustrations, dont certaines sont issues de ces murs chers au Trafique triangulaire, sont également évocatrices : le transbordement des restes de Napoléon à bord de la Belle poule nous rappelle que Victor Hugo fut un témoin hors pair de la cérémonie parisienne qu’il décrit avec vivacité dans Choses vues.

Château des Ducs de Bretagne, 13 mai 2017.